Qu’est-ce qu’une Europe juste ? Dialogue avec John Rawls
Comment concevoir la justice au sein de cette entité politique sui generis qu’est l’Union européenne ? John Rawls traite de cette question dans une longue lettre rédigée en 1998. La conception égalitaire qu’il présente dans sa Théorie de la justice ne peut à ses yeux s’appliquer qu’au sein d’un peup...
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Veröffentlicht in: | The Tocqueville review 2022-06, Vol.43 (1), p.89-124 |
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1. Verfasser: | |
Format: | Artikel |
Sprache: | fre |
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Online-Zugang: | Volltext |
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Zusammenfassung: | Comment concevoir la justice au sein de cette entité politique sui generis qu’est l’Union européenne ? John Rawls traite de cette question dans une longue lettre rédigée en 1998. La conception égalitaire qu’il présente dans sa Théorie de la justice ne peut à ses yeux s’appliquer qu’au sein d’un peuple, et l’Union européenne n’en est pas un au sens où il l’entend. Au niveau européen, les obligations de justice distributive se réduisent donc aux obligations entre peuples que Rawls énonce dans The Law of Peoples : un devoir d’aide à certains États membres au cas où ils seraient trop peu développés pour pouvoir se doter d’institutions internes justes et le respect des termes équitables de formes de coopération mutuellement bénéfiques auquel chaque État membre est libre d’adhérer.
Mais la notion de « peuple » est-elle suffisamment robuste pour fonder cette conception duale de la justice ? N’est-il pas plus plausible de conditionner la pertinence d’une conception égalitaire de la justice, comme le fait Thomas Nagel, non à l‘existence d’un peuple au sens de Rawls, mais à celle d’une communauté politique de citoyens à la fois auteurs et sujets de règles coercitives – une condition que l’Union européenne satisfait de plus en plus ? Et n’est-il pas plus plausible encore d’admettre que la justice sociale égalitaire aujourd’hui ne peut se penser qu’à l’échelle globale, l’Union européenne constituant alors un effort régional pour construire les institutions que la justice requiert à l’échelle globale ? Dans l’une ou l’autre de ces perspectives, la poursuite de l’intégration politique européenne se justifie.
En outre, dès le moment où l’on admet l’irréversibilité du marché unique, n’est-ce pas même dans la perspective duale de Rawls qu’il faut souhaiter la poursuite de cette intégration ? En son absence, en effet, l’Union européenne s’enfoncera dans le piège décrit dès 1939 par Friedrich Hayek : une fédération cumulant les obstacles économiques à la poursuite de la justice au niveau national et les obstacles politiques à sa poursuite au niveau de l’Union. La sévère mise en garde de Rawls contre la transformation de l’Union européenne en un État fédéral ressemblant aux États-Unis ne doit donc pas nous empêcher d’œuvrer au service d’une utopie réaliste libéraleégalitaire très différente de la sienne. Au contraire. |
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ISSN: | 0730-479X 1918-6649 |
DOI: | 10.3138/ttr.43.1.89 |