Déconstruire les mythes classiques Entretien avec Florence Dupont

1) Dans son classique D'Antigone à Socrate 1 , André Bonnard associe sans surprise la tragédie grecque à la démocratie athénienne, mais il fait un pas de plus en faisant de Créon une sorte de fasciste et d'Antigone une résistante-un double de Guy Môquet, au féminin... Il était, on le sait,...

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Veröffentlicht in:K : Revue trans-européenne de philosophie et arts 2018
Hauptverfasser: Dupont, Florence, Salza, Luca, Brossat, Alain
Format: Artikel
Sprache:fre
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Beschreibung
Zusammenfassung:1) Dans son classique D'Antigone à Socrate 1 , André Bonnard associe sans surprise la tragédie grecque à la démocratie athénienne, mais il fait un pas de plus en faisant de Créon une sorte de fasciste et d'Antigone une résistante-un double de Guy Môquet, au féminin... Il était, on le sait, un fervent supporter du régime soviétique, un compagnon de route du stalinisme. Il hyperpolitise donc et actualise la tragédie de Sophocle sans se faire le moindre scrupule à pro-pos des dangers de l'anachronisme. Mais d'un autre côté, Nicole Loraux qui place la tragédie grecque sous un tout autre régime d'interprétation pratique activement elle aussi l'anachroni-sme et le revendique, à propos notamment des « femmes en deuil » d'hier et d'aujourd'hui. Votre lecture de la tragédie grecque est fondamentalement diverse. A la lumière de vos étu-des sur « l'insignifiance tragique » et à propos d'Antigone, que faire de ces oppositions et de ces rapprochements ? FD : Il est difficile historiquement d'associer la tragédie à la démocratie athénienne, puisque les concours tragiques ont été institués sous la tyrannie des Pisistratides. Le livre d'André Bon-nard témoigne du rôle longtemps et encore attribué à l'Antiquité : servir d'origine fantasmati-que à la civilisation occidentale. D'où ce titre caricatural. Selon ce que chaque auteur considère comme le propre de la civilisation, il le projette dans l'Antiquité. Les lectures marxistes ont pratiqué sans scrupule la déformation historique et les premiers écrits de Jean-Pierre Vernant leur auront réglé leur compte. Le livre de Bonnard est désormais une pièce de musée. Ce qu'écrit Nicole Loraux n'est pas comparable. Elle part d'une reconstitution anthropo-logique de l'énonciation tragique dans l'Athènes du Vème siècle, en montrant que c'est une fête des larmes, la célébration d'un deuil collectif, en rupture avec la vie politique agitée par une perpétuelle division, la stasis. Pleurer ensemble soude la communauté quand l'objet du deuil est un personnage de fiction, inventé par le poète comme Antigone mise à mort par son oncle Créon. C'est à la suite de Nicole Loraux que j'ai regardé comment la stratégie de So-phocle dans cette pièce consistait à accumuler les morts ce qui donne lieu à de beaux chants de deuil et des scènes pathétiques. Il n'y a rien d'anachronique dans cette démarche. Ce que Nicole dit ailleurs à propos des mères en deuil n'est pas non plus un anachronisme d'interprétation, elle redonne au deuil grec sa valeur rituel
ISSN:2609-2484